De Nachtwacht - La Ronde de nuit

Publié le 23 janvier 2024 à 08:55
Foule devant une oeuvre d'art de Rembrandt

Qui n’a jamais entendu parler de "de Nachtwacht" ; la Ronde de nuit ? Ne serait-ce que de nom.

Il s’agit d’une des plus grandes œuvres du peintre Néerlandais Rembrandt Van Rijn, tant pour sa célérité que pour sa taille d'ailleurs.

Et oui, le tableau mesure 4,37m de longueur et 3,63m de hauteur pour un poids de 337kg avec le cadre !

 

Les théories sur le lieu où Rembrandt aurait pu réaliser un tel tableau sont nombreuses mais son atelier étant trop petit, il aurait demandé d’après les archives municipales de l’époque à construire une « cuisine d’été » dans la cour de sa maison d’Amsterdam.

 

En effet, à cette période la réalisation d’un portrait de "schutterij" était la commande la plus précieuse que pouvait recevoir un peintre. Cela justifiait bien un petit permis de construire non ?

Malheureusement, le vrai lieu n'est toujours pas connu à ce jour.

 

La réalisation de cette œuvre aura nécessité un peu moins de 4 ans, des travaux préparatoires en 1639 à la livraison en 1642. Le jeune peintre Néerlandais avait alors 36 ans.

Saviez-vous cependant que la Ronde de nuit n’est pas son titre officiel ?

Observation de la Ronde de nuit

Cela va peut-être paraître surprenant mais le tableau représente en réalité une scène de jour durant laquelle une "schutterij" ; compagnie de miliciens se met en mouvement pour quitter l’ombre d’une cour en direction de la clarté.

 

Son titre officiel est "De compagnie van kapitein Frans Banninck Cocq en luitenant Willem van Ruytenburgh maakt zich gereed om uit te marcheren" ; La Compagnie de Frans Banning Cocq et Willem Van Ruytenburgh se prépare à la marche, ce qui est j’en conviens bien moins facile à retenir.

 

Le tableau doit son surnom au bitume de Judée : un pigment organique constituant le liant de la peinture qui avec le temps donna l’aspect sombre constaté lorsqu’il fut observé au 18ème siècle par Sir Joshua Reynolds, qui le baptisa "the Nightwatch" ; la Ronde de nuit.

 

En effet, la peinture en tubes n'existait pas à l'époque et les peintres confectionnaient leurs teintes eux-mêmes en mélangeant de l'huile de lin et de la poudre de pigments naturels importés ou issus de matériaux locaux. L'ajout de certains additifs comme le bitume pour le glacis des toiles, du plus bel effet à court terme aura aussi des effets méconnus dans le temps.

 

Anciens outils des peintres du 17ème siècle

 

Le tableau sera rénové une première fois en 1947 sans pour autant lui redonner toute sa lumière.

Commandé en 1639 par le Capitaine Frans Banning Cocq et 17 autres membres de la compagnie des mousquetaires dans le cadre d’un projet décoratif du "kloveniersdoelen" ; quartier général de la guilde des mousquetaires (ou milice), le tableau est en fait la combinaison d’une multitude de portraits individuels riche en détails et en personnages qui de par sa taille les représentent presque à l’échelle réelle.

Cette milice civile Bourgeoise, composée de plusieurs compagnies avait pour mission de défendre Amsterdam des indésirables. 

L’histoire rapporte que l’existence de ces milices défensives est connue depuis le 13ème siècle ; dont les soldats étaient à l’origine des archers puis des arbalétriers et enfin depuis l’utilisation de la poudre à canon ; des mousquetaires. Ces milices serviront pendant près de 600 ans jusqu'à la fin du 19ème siècle, remplacés par la police professionnelle.

 

La compagnie était dirigée par un Capitaine, lui-même assisté par un Lieutenant et de quelques 400 gardes en fonction des secteurs.

Nous pouvons toujours côtoyer leurs héritiers qui s'appellent dorénavant "de Handhaving" ; les agents municipaux de sécurité.

 

Aujourd’hui exposé comme l’une des œuvres majeures de la galerie d’honneur du "Rijksmuseum" ; musée du Royaume à Amsterdam, le tableau ornait initialement la salle de réception du quartier général "kloveniersdoelen".

Quartier Général ou Kloveniersdoelen à Amsterdam

Le terme "kloveniers" vient du mot "klover" ; un autre mot désignant mousquet qui doit son origine au mot français ; couleuvrine.

On parle de milice Bourgeoise car l’affectation se faisait sous condition que le garde puisse intégralement financer son arme et ses équipements. De fait, ils étaient souvent issus d’un milieu aisé et avaient une profession civile à côté.

 

A cette époque, Amsterdam était divisée en "wijken" ; quartiers, districts. Chaque quartier avait sa guilde de mousquetaires.

 

Leur quartier général n’est malheureusement plus observable aujourd’hui cependant il est toujours possible d’apprécier un séjour luxueux dans l’actuel "Doelenhotel" situé à l’emplacement de l’ancien bâtiment.

La compagnie du Capitaine Frans Banning Cocq était en charge de la garde du "Amsterdamse Wijk II" ; quartier 2 d’Amsterdam entre Damrak et Singel en rouge sur l'image ci-dessous.

Carte de la vieille ville d'Amsterdam au 16ème siècle

Par ce tableau, Rembrandt casse une première fois les codes en représentant les personnages dans une scène active, vivante contrairement aux tableaux baroques traditionnels qui veulent des postures statiques avec des personnages prenant la pose.

 

Les deux protagonistes de la scène ouvrent la marche.

 

Le Capitaine Frans Banning Cocq en uniforme noir à l’écharpe rouge tend sa main vers vous pendant qu’il donne les consignes à son Lieutenant Willem Van Ruytenburgh, tout vêtu de blanc dont la pertuisane manque de vous transpercer en sortant du tableau.

 

Chaque membre représenté effectue une action qui représente la mise en mouvement et la vie qui devait paraître dans ce tableau ; un tir de mousquet, un roulement de tambour, le chargement d'une arme... Vous les voyez ?

Restauration complète de la Ronde de nuit

Parmi ces détails soigneusement mis en avant par l’artiste grâce à sa maîtrise du clair-obscur ; notre œil est notamment attiré par une jeune fille lumineuse tenant dans sa main droite un poulet mort.

D’un jaune à l’époque synonyme de victoire, la jeune fille est une allégorie des kloveniers : le poulet qu’elle porte symbolisant la défaite de l’ennemie et les griffes du poulet représentant leur blason.

 

Pour certains, elle fait figure de symbole mythologique alors que d’après les chercheurs du Rijksmuseum, il s’agirait d’une mascotte de la compagnie.

 

Une autre suggestion à l’origine de la scène fait état de la venue de Marie de Médicis en 1638, veuve d’Henri IV de France alors qu’elle fuit l’exil ordonné par son fils Louis XIII ; dont l’arrivée en ville fait l’objet du départ de la compagnie depuis leur quartier général.

 

Ce qui remet en question cette théorie est qu’à cette époque ni le Capitaine Banninck Cocq, ni le lieutenant Van Ruytenburgh n’étaient officiers au moment de la visite de Marie de Médicis.

 

Afin que la scène atteigne la force souhaitée, certains membres de la guilde ne pouvant s’acquitter de la somme requise ont été représentés à titre gracieux.

De par cet acte, Rembrandt rompt une seconde tradition consistant à ne peindre que des clients qui payent pour leur portrait.

 

De plus, les habits et accessoires dont sont vêtus les personnages n’étaient pas de coutume mais symbolisent une liberté d’accoutrement que les kloveniers aimaient prendre lors de leurs apparitions publiques.

 

L’œuvre marquera l’apogée de l’Age d’Or de la peinture Néerlandaise et si l’on prend suffisamment de temps pour l’observer, on ne peut s’empêcher de remarquer un petit détail intrigant : Rembrandt n’a pu s’empêcher de participer à la scène (juste derrière le porte-étendard).

 

Nous savons que le tableau fut exhibé dans la salle principale du Kloveniersdoelen de 1642 jusqu’à minima 1715. Peu après, le tableau déménagea pour être accroché au "Paleis op de Dam" ; Palais sur le Dam, à l’époque Hôtel de ville.

 

C’est vraisemblablement à cette période qu’il fut recoupé pour passer entre deux portes du bâtiment. Car oui, sa taille initiale était de 5m de longueur et 4,40m de hauteur !

 

Sans les détails périphériques qui peuvent paraître insignifiants, la réduction fit perdre au tableau son impression de mouvement et ce n’est qu’après observation de la réplique que Frans Banninck Cocq fit faire au peintre Gerrit Lundens que l’on peut apprécier la dynamique originelle de la scène.

Cette réplique de 85,5cm x 67cm est observable à la Galerie Nationale de Londres.

National Gallery Museum de Londres

Presque un siècle plus tard, la réquisition du Paleis op de Dam par Louis Napoleon en guise d’appartements fit déménager le tableau pendant un temps chez le négociant d’art C.S Roos au "Trippenhuis".

 

L’œuvre y restera en garde pendant 100 ans et après un court retour en 1808 au Dam, le tableau sera exposé au public en 1885 dans la "Nachtwachtzaal" ; salle de la Ronde de Nuit spécialement conçue dans le Rijksmuseum inaugurée la même année.

 

En 1898, il fut transporté à l’occasion d’une exposition dédiée à Rembrandt au "Stedelijk museum" inauguré lui aussi cette même année par la reine Wilhelmina.

Malheureusement, on constate que la lumière n'y est pas suffisamment adaptée.

De surcroît, une nouvelle Nachtwachtzaal sera construite au Rijksmuseum à l'occasion du 300ème anniversaire de Rembrandt et inaugurée par le prince Hendrik en 1934.

 

Lors de la 2nde guerre Mondiale, un passage secret prévu dans la conception de la salle sera utilisé pour évacuer l'œuvre en lieu sûr. 

 

Démontée, enroulée et stockée durant toute la guerre dans un bunker à proximité de Maastricht, la manœuvre permettra de préserver le tableau du pillage nazi.

 

Le 27 Juin 1945, le tableau est réencadré et exposé au Rijksmuseum pour "Het Weerzien der Meesters" ; la Revue des Maîtres. 

L'exposition rassemblait 175 des plus célèbres toiles de maîtres Néerlandais et cumulera plus de 165.000 visiteurs.

 

Au 20ème siècle, alors que le Rijksmuseum est en pleine rénovation depuis 2003, le tableau est exposé dans le "Druckeruitgebouw" pendant une dizaine d’années et retrouvera enfin sa place initiale dans la Nachtwachtzaal le 13 Avril 2013, plus de 10 ans après.

 

La question de la rémunération de Rembrandt pour cette œuvre n’ayant pas trouvée réponse universelle, on estime qu’il a touché entre 1600 et 4000 Florins pour la livraison de ce tableau.

A titre indicatif, le salaire moyen d’un ouvrier de l’époque était de 250 florins (environ 110 euros actuels).

 

D’après les déclarations de Bernhardt Kiel ; élève de Rembrandt à cette époque, chaque milicien représenté aurait payé environ 100 florins.

 

Bien que le tableau n’ait jamais fait l’objet d’une transaction, une diffusion de l’émission de télévision "De Rekenkamer" ; les comptables en 2011 révèle une valeur estimée à minimum 500 millions d’euros.

 

Depuis peu, grâce à l'usage de l'intelligence artificielle combinée aux archives d'époque, les sections manquantes du tableau (en dehors de l'encadré rouge) ont été regreffées par les équipes du Rijksmuseum.

Le retour de l'intégralité des éléments de l'œuvre originelle justifie peut-être l'astronomique valeur de la toile mais aura sans doute un meilleur impact sur l'appréciation de la scène.

L'IA permet de restituer au chef d'oeuvre de Rembrandt ses morceaux manquants

Il y a encore beaucoup à raconter sur cette œuvre mais je ne peux vous spoiler un moment d’évasion si vous décidez d’aller l’observer un jour.

 

Parmi les nombreuses choses à découvrir d'Amsterdam, je recommande vivement le Rijksmuseum en tant que richesse culturelle majeure.

 

Prévoyez minium 1 longue journée si vous êtes curieux observateur afin d’en admirer les quelques 8000 pièces exposées à travers des centaines de salles différentes.

 

J’espère que ce résumé vous aura intrigué car rien de tel que vivre l’instant pour s’émerveiller !

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